
Basse-Normandie



Les salamandres dorées
Lorsque, revenant d’Isigny-le-Buat (50), l’on arrive à trois cents pas environ de la route de Mortain à Saint-Hilaire, près d’un carrefour que forment deux petits chemins avec l’antique route de Pied d’argent, qui conduit directement au bourg d’Isigny, on peut voir, par une belle nuit d’été, une multitude de petites salamandres, vulgairement appelées mourons. Elles sautillent sur la route, s’enlacent sous vos pas et cherchent à retarder votre course, comme si elles voulaient vous retenir. N’en soyez pas effrayé : elles ne sont pas malfaisantes. Bien au contraire, puisqu’elles possèdent le secret que cherchèrent en vain et si longtemps les alchimistes du Moyen Âge, celui de faire de l’or.
Permettez-nous donc de vous donner un conseil, libre à vous de le suivre ou non.Si vous êtes armé d’un robuste bâton de voyage, assommez le plus grand nombre que vous pourrez de ces petits animaux. Puis, sans vous éloigner, veillant constamment à ce que nul autre ne s’approche de ces innocentes victimes, dès les premiers rayons du soleil matinal, vous devrez apercevoir à vos pieds, au dire des habitants du voisinage, autant de pièces d’or, que vous aurez tué d’animaux durant la nuit.
L’expérience est facile à faire, et si elle réussit, votre temps n’aura pas entièrement été perdu. Vous ne devrez pas regretter une nuit sans sommeil, passée en compagnie de salamandres dorées, dans un chemin isolé, au milieu de l’obscurité la plus profonde.
Hippolyte SAUVAGE (1859)
La pierre Dyallan
Vieux dolmen druidique de Jurques (14), la pierre Dyallan a presque trois mètres de hauteur, cinq de longueur et elle est large d’un mètre et demi environ. La table repose sur quatre supports et les alentours présentent les débris d’une douzaine de pierres formant une sorte d’enceinte circulaire.
Les vieilles femmes se rendaient autrefois à la pierre Dyallan comme à un lieu de pèlerinage, pour obtenir que leurs enfants soient favorisés d’un bon numéro, lors du tirage au sort de la conscription. Elles déposaient une branche de palmier sur le milieu de la table, en faisant neuf fois le tour à reculons, et rentraient chez elles.
La tradition affirmait que bon nombre de ces femmes avaient été exaucées dans leur désir.
Victor BRUNET (1886)
Le lavoir de la Vierge
C’est la Grosse Pierre ou dolmen du bois de la Pierre à Boissy-Maugis (14).
Elle aurait été apportée par la Vierge dans son tablier : un de ses anfractuosités conserve l’eau pendant presque toute l’année et porte le nom de source ou lavoir de la Vierge. Certaines personnes viennent prendre une parcelle de cette table pour la placer dans les fondations des nouvelles maisons, ou plus simplement une pierre ramassée près des dolmens.
Léon COUTIL (1917)
La fosse Arthour
Le roi Arthur, après sa disparition, se réfugia dans la Chambre du Roi à Mortrain (50), et sa fidèle compagne, la reine Genièvre, trouva un asile dans la Chambre de la Reine, dont une entrée secrète était connue d’Arthur seul. Mais l’arrêt de la fée puissante qui le protégeait, et avait présidé à sa naissance, avait ordonné qu’il ne pourrait rendre visite à son épouse qu’après la disparition du soleil derrière la montagne voisine.
Arthur obéit d’abord à cet arrêt sévère, mais sa profonde tendresse pour celle qui n’avait pas voulu l’abandonner le lui fit bientôt oublier. Une fois, et sans attendre le coucher du soleil, il descendit de sa retraite inaccessible, et alla rejoindre Genièvre. Il continua ses visites, mais une punition terrible lui était réservée.
Un jour qu’il venait de quitter sa compagne et traversait le ravin, un bruit inusité vint exciter sa surprise, et le fit se retourner. C’était le torrent grossi, fougueux, menaçant, qu’il vit accourir et se précipiter vers lui, grondant et mugissant. En un instant, l’onde perfide l’entoure de ses flots tumultueux, et monte, monte toujours. Le prince essaie de lutter contre l’irrésistible courant, se débat avec le courage du désespoir contre les étreintes de la mort. Vains efforts ! Sa dernière heure a sonné ; le torrent entraîne et engloutit dans les profondeurs du gouffre l’amant infortuné. Du seuil de sa grotte, Genièvre a suivi avec une affreuse angoisse les péripéties de la lutte ; elle voit son époux disparaître, elle ne veut pas lui survivre ; et, se précipitant du haut de la roche, va le rejoindre dans l’abîme.
On affirme qu’autrefois, deux corbeaux, aussi blancs que des cygnes, venaient planer lentement et mélancoliquement chaque jour au-dessus du gouffre, tombeau des deux amants. Leur aire était établie dans un creux du rocher, et les laboureurs les respectaient, car ils protégeaient les moissons des champs d’alentour contre les oiseaux du ciel. Un soir, ils prirent leur volée vers l’horizon lointain, disparurent, et depuis nul ne les a revus. On raconte encore qu’au bon vieux temps, celui qui ne pouvait suffire à ses labours, allait demander aide sur le bord de la fosse Arthour, en ayant soin d’y déposer une piécette blanche. Le lendemain matin, il voyait sortir de l’eau deux taureaux noirs qu’il emmenait, et qui se montraient infatigables au travail durant la journée toute entière. Il fallait les ramener au bord de la fosse à la tombée de la nuit, et ne pas oublier de leur attacher une botte de foin entre les cornes. Arrivés au bord de l’eau ils prenaient leur élan, et plongeant, regagnaient leur humide demeure.
Jules LECOEUR (1883)
Le tonnelier avare
Il y avait une fois, dans un village des environs de Lisieux (14), un tonnelier avare, d’une avarice sordide. Il était cependant un des plus riches de l’endroit. Cela ne l’empêchait pas de se nourrir et de s’habiller comme un pauvre, de travailler comme un esclave, de se plaindre continuellement. À l’entendre, le commerce allait mal, le bois renchérissait, les clients n’étaient plus ce qu’ils étaient autrefois ; personne, non, personne n’était plus malheureux que lui.
En vérité, il ne pensait qu'à son argent. Ses chers écus lui tenaient lien de femme, d’enfants, de parents et d’amis ; ils détournaient ses regards des souffrances des autres ; ils étouffaient en lui tout sentiment de pitié ; en un mot, ils rendaient son cœur dur et froid comme une pierre.
Un jour qu’il travaillait dans son atelier, il entend frapper à sa porte. Il ouvre. Un vieillard infirme, couvert de haillons, l’air exténué de fatigue, lui demande un verre d’eau.
– Va boire à la fontaine qui est au bout du chemin ! réplique brutalement le tonnelier.
– La fontaine est bien loin pour mes faibles jambes, reprend le vieillard. Je vous en supplie, donnez-moi un verre d’eau ; je suis si fatigué !
– Crois-tu donc, répond le tonnelier, que je vais me déranger pour un va-nu-pieds comme toi ? Je n’ai pas de temps à perdre. Sors, va-t’en !
À ces mots, le mendiant se redresse, majestueux et sévère :
– Tu es connu dans tout le pays pour ton avarice ; je pourrais te punir de ta dureté ; je te commande seulement de remplir ce tonneau que tu viens de faire.
Cela dit, le vieillard s’éloigne.
Ces paroles, ce ton d’autorité, stupéfièrent l’avare ; un moment il resta pensif. Il s’apprêtait à continuer son travail, lorsque, poussé tout à coup par une force irrésistible, il prit le tonneau, le roula jusqu’à la fontaine, le plongea dedans : quel ne fut pas son effroi en le retirant vide !
Son inquiétude ayant fait place à la colère, il saisit le tonneau que ses mains avaient abandonné, le jeta dans la fontaine, l’enfonça de toutes ses forces, avec rage : l’eau ne mouillait même pas le bois.
Furieux, il renouvela plusieurs fois sa tentative, et toujours sans succès.
Désespéré, il souhaitait la mort…
À la fin, comprenant qu’il était châtié de son odieuse conduite envers le vieillard, il se repentit sincèrement et se promit d’être bon désormais pour ses semblables. Tandis qu’il prenait cette résolution, des larmes montèrent à ses yeux ; l’une d’elles coula sur son visage, et, tombant dans le tonneau, le remplit soudain.
Il reconnut ainsi qu’on fait son bonheur en travaillant à celui des autres.
Louis BASCAN (1906)
La Dame Blanche de la Dieuge
C’est à Saint-Germain-de-Clairefeuille (61), à proximité de la Dieuge, ruisselet dont le cours est rompu par un ancien dolmen couché en travers de son lit, que les lavandières du XIXe siècle qui s’attardaient le soir prétendaient encore voir la dame Blanche, présage de bonheur que, loin de fuir, on cherchait à voir.
Se pourrait-il qu’il s’agisse de Tiphaine de Sourure, morte de chagrin en 1570, après que son fiancé eut été brûlé vif sous ses yeux durant les guerres de religion ?
Bulletin de la Société historique et archéologique de l’Orne (1887)
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