
Champagne-Ardenne




Le pain d’épice de Reims
Le rôle des impositions fait pour Paris, en 1292, ne parle pas encore des pain-d’épiciers, mais on y voit figurer les eschaudéeurs, les fouaciers, les gasteliers, les oublayers et les pastiers. Cent quatre boutiques étaient ouvertes à cette époque pour satisfaire la gourmandise des habitants de Lutèce. Il est probable que les gasteliers faisaient des gâteaux en général, et en particulier le pain d’épice ; les galettes ou fouaces appartenaient aux fouaciers, les pâtés aux pâtaiers, les plaisirs aux heureux oublayers. Longtemps après vinrent les pâtisseries au miel et les gâteaux en sucre. Les gasteliers relevèrent le goût des pains au miel avec des citrons, de la fleur d’orange, des amandes, en un mot avec des épices. Dès lors la France eut des pâtissiers de pain d’épice, et un peu plus tard des pain-d’épiciers. Reims (51) acquit de bonne heure, par cette délicieuse composition de farine et de miel, cette immense renommée que plusieurs villes aujourd’hui veulent lui disputer. Elle prie le roi Louis XV, le lendemain de son sacre, d’en accepter quelques élégantes corbeilles. Quelque temps après, Marie Leckzinska, noble fille d’un roi proscrit, traverse la Champagne pour aller monter sur le trône de France. Des notables se mettent en route et lui offrent douze coffrets d’osier contenant du pain d’épice de douze à la livre et des croquants pliés.
Une fabrication aussi considérable que celle du pain d’épice devait avoir ses droits et ses privilèges. Le 2 août 1571 les pain-d’épiciers eurent la joie d’être admis aux honneurs du monopole. Pour tenir boutique ouverte dans ce bon vieux temps, il fallait faire un chef-d’œuvre, sous peine de soixante sols parisis d’amende, applicable moitié au révérendissime archevêque, et l’autre moitié audit métier. Les apprentis « pour parvenir à maîtrise » devaient faire un pain d’épice de six livres en présence des maîtres jurés. Tenus de servir trois ans, les susdits payaient, le jour de leur entrée, une livre de cire qui devait être employée à la torche de la corporation portée processionnairement le jour du Saint-Sacrement de l’autel. Mais, en revanche, les maîtres ne pouvaient exiger, lors de leur réception, aucun salaire ; quiconque même allait s’asseoir à un banquet ce jour-là, devait payer quatre livres parisis au révérendissime archevêque.
Le pain d’épice, si mol et si maniable par sa nature, se prête sans peine à prendre toutes les formes qu’il plaît d’inventer. Du rond et du cœur, il s’est métamorphosé en bonhomme, en girafe, en mouton, quelquefois même en édifice.
Il obtient toujours la première place dans nos foires de Champagne, et les heureux marchands qui le débitent ne sont pas ceux dont les recettes sont les plus minimes. Mais, il faut le dire, la loi de 1791 a porté le dernier coup à la respectable corporation des pain-d'épiciers de Reims, déjà frappée par l’édit de 1776. Des réputations rivales ont surgi, les traditions classiques ont été foulées aux pieds, toutes les villes ont fabriqué le pain d’épice de Reims, de sorte qu’il ne nous est plus permis de juger de cette saveur exquise qui lui valait jadis les honneurs de la table des rois.
Alexandre ASSIER (1860)
Le Pré-aux-Bœufs
À Mouzon (08) existe un pré dit "le Pré-aux-Bœufs". Dans l’église de Warcq, à cette époque – église alors en bois, – reposait le corps de saint Arnould. Warcq est assiégé par Othon de Castrice, emporté d’assaut, pillé, brûlé ; mais les flammes épargnèrent d’abord l’église.
L’archevêque Adalbérou, qui avait défendu Warcq, craignant de voir brûler le corps du saint, le fit sortir de l’église qui, immédiatement, fut consumée en un rien de temps. Adalbérou fit mettre les restes de saint Arnould sur un bateau et ordonna qu’en remontant la Meuse, ils fussent transportés à Mouzon.
D’après la légende, les bœufs qui traînaient le bateau sur le chemin de halage, avant d’entrer à Mouzon s’arrêtèrent d’eux-mêmes à cet endroit qui a conservé le nom de Pré-aux-Bœufs, et au même moment, d’elles-mêmes, toutes les cloches se mirent à sonner, avertissant, par ce miracle, tous les habitants de Mouzon de venir solennellement à la rencontre de ces précieuses reliques.
Déjà, en route, près d’une maison de campagne nommée Torcy, une veuve ayant, de son voile, touché le cercueil du saint, avait subitement recouvré la vue.
Albert MEYRAC (1890)
L’homme rouge de la forêt d’Ardenne
Dans la forêt d’Ardenne, il y eut, jadis, un ogre appelé "l’homme rouge". II y a de cela longtemps, bien longtemps, une jeune fille d’une beauté merveilleuse, nommée Marie Dufour, avait, malheureusement, quelques dartres vives sur la figure. Elle résolut d’aller à Attigny (08) implorer saint Méen et se mit en route avec son amie préférée, la Garotte. En traversant la forêt, elles se perdirent. Très inquiètes, cherchant leur chemin, elles virent venir à elles un homme tout de rouge habillé et lisant "dans un livre sans lettres."
– Vous êtes égarées, mes belles, leur dit-il, suivez-moi.
Et, suivant l’homme rouge, elles marchèrent deux heures et arrivèrent enfin à une maison que cachaient de grands rochers et des arbres épais. Elles entrent et voient, devant une haute cheminée, un autre homme rouge faisant cuire, dans un immense chaudron, des pieds, des mains, des bras et des jambes d’hommes et de femmes. Elles veulent fuir, mais la porte s’est refermée, impossible de sortir.
- Où iriez-vous, d’ailleurs, leur dit l’homme rouge, il fait noir, il pleut, vous vous perdriez encore dans les bois, montez vous coucher.
C’est ce qu’elles firent, mais ne s’endormirent pas et entendirent, à peine dans le lit, des bruits d’assiettes, de couteaux, des voix et des rires. Puis, le repas terminé, ce fut un bruit de couteaux qu’on aiguisait. Heureusement que Marie Dufour et la Garotte purent s’échapper par une lucarne, à l’instant même où l’homme rouge entrait dans la chambre pour les égorger.
Elles rentrèrent chez leurs parents, ne songeant plus à leur pèlerinage d’Attigny et, depuis ce jour, on ne revit jamais plus l’homme rouge de la forêt.
Albert MEYRAC (1890)
Quatre-vingt-dix-neuf moutons
Parlons du proverbe : quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois…, dont la tradition fait une injure, quand c’est au contraire le résultat d’un trait de ruse et une preuve de finesse mercantile.
L’impôt n’était pas moins ingénieux autrefois qu’aujourd’hui. Du temps de César, chaque troupeau de 100 moutons était frappé d’un impôt particulier. Pour échapper à la perception, les conducteurs n’avaient jamais que 99 moutons à la fois : frustré quotidiennement de la sorte, un des collecteurs prit le parti de compter le berger pour compléter le troupeau. Quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois, s’écria-t-il, font cent bêtes ; et il perçut l’impôt. Nous ne garantissons pas le fait, mais il est à l’état de tradition chez tous les chroniqueurs.
Amédée AUFAUVRE (1848)
La chandelle Chirapa
Au moyen-âge vivait à Langres (52) un homme nommé Chirapa, célèbre par son opulence et surtout par sa prodigalité. Mais il dépensa tant qu’ un beau matin ses créanciers s’assemblèrent pour le dépouiller de ses dernières richesses. Que faire dans une situation si déplorable ? Tout autre que notre Langrois se serait enfui de la ville. Mais Chirapa ne craint point la poursuite de ses créanciers et veut continuer son train de vie. Il appelle le diable et lui donne son âme pour des monceaux d’or. Les créanciers se retirent, stupéfaits des richesses de Chirapa, et font mille excuses à cet homme fortuné d’avoir troublé son repos. Chirapa se moque de leurs alarmes, et leur annonce qu’il tiendra tous les jours table ouverte chez lui sans craindre une sensible diminution dans ses coffres. Bientôt le bruit se répand dans la ville que Chirapa possède d’immenses richesses, et que sa déconfiture n’est qu’un mensonge forgé par la jalousie. De nombreux amis accourent dans son logis et consument joyeusement le temps à savourer des mets délicieux.
Un jour cependant le vin manqua dans un de ces festins splendides auquel assistait un religieux. Vite Chirapa court à la cave ; mais ô surprise, à peine a-t-il franchi la dernière marche qu’il voit le diable à califourchon sur un tonneau. Eh bien ! es-tu prêt ? demande le prince des ténèbres. Déjà, balbutie Chirapa ; par pitié, permets-moi d’achever ce festin. Le diable, qui croit posséder cette pauvre âme, se laisse toucher par la supplique de Chirapa. Notre homme remplit son vase et s’en revient tout penaud dans la salle où s’ébattent les joyeux convives.
Mais la pâleur qui s’est répandue sur son visage n’échappe pas au regard du religieux. Chirapa dépose son vase sur la table et raconte sa terrible vision. Le bon moine rassure le pauvre pécheur et se charge d’aller lui-même solliciter messire Satanas.
– Que veux-tu ? demande le diable dès qu’il aperçoit le religieux.
– Te remercier d’abord et te faire une requête. Accorde seulement huit jours de répit à Chirapa.
– Huit jours ! le mécréant m’a donné sa parole.
– Un jour !
– Pas une heure.
– Le temps au moins de brûler la chandelle que je porte.
Le diable cède et veut bien attendre quelques minutes.
Mais le religieux s’empresse de souffler la chandelle et la consacre aussitôt à Dieu.
Ainsi fut délivré ce pauvre Chirapa qui depuis cette étrange vision ne vit plus messire Satanas qui s’était enfui dans les enfers pour y cacher sa honte.
La chandelle fut déposée dans le trésor de la cathédrale de Langres, où les voyageurs peuvent encore la voir. Beaucoup d’auteurs ont parlé de cette chandelle ; Monsieur Carnandet, à l’obligeance duquel nous devons tous ces détails, a même lu un poème de 545 vers consacrés à cette légende, et que conserve précieusement la bibliothèque impériale.
Lorsque vous irez à Langres, n’oubliez pas la chandelle Chirapa ; mais, en la touchant, rappelez-vous que la soif des richesses est pernicieuse, et que sans le puissant secours d' un bon religieux le nom de Chirapa serait à jamais flétri.
Alexandre ASSIER (1860)
Notre-Dame-de-l’Épine
Notre-Dame-de-l’Épine doit également son origine à la découverte d’une merveilleuse statue de la Sainte Vierge, qui manifesta sa présence dans un buisson d’épines par une éblouissante clarté. On sait que Dieu se communique surtout aux simples, et que des bergers eurent l’honneur d’être convoqués les premiers au berceau de l’Enfant-Jésus. Pourquoi s’étonner si de pauvres pasteurs sont appelés dans les siècles du christianisme à constater la miraculeuse présence de Marie ? Aperçue des villages voisins, la vive clarté qui s’échappait du buisson d’épines attira bon nombre d’habitants avec leurs curés ; la statue merveilleuse fut solennellement portée dans l’humble chapelle d’un petit hameau dépendant de la paroisse de Melette, où des pèlerins accoururent de toute la Champagne, versant aux pieds de Marie de grosses offrandes pour lui élever une église digne d’elle. Ceci se passait en 1400, c’est-à-dire dans un temps où les Anglais commençaient à piller le beau royaume de France, quelques années avant la démence du pauvre Charles VI. Un habile architecte anglais, nommé Patrice, fut chargé de la construction de l’édifice, et s’engagea pour la somme de six cents francs à bâtir le portail et les deux tours. Les pierres, le bois et les autres matériaux furent fournis ou transportés gratuitement par les habitants de Melette et de Courtisols, de sorte qu’en 1429 le portail et l’une des tours étaient achevés. Patrice, qui venait d’apprendre le sacre de Charles VII et les exploits de Jeanne d’Arc, s’enfuit avec l’argent qu’il avait reçu « pour la confection des deux tours. » Le roi de France offrit aux marguilliers une somme considérable avec laquelle s’éleva la seconde tour dont le clocher fut surmonté d’une couronne royale. Les travaux furent bientôt continués jusqu’à la chapelle de Saint-Jean, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit même où la miraculeuse statue avait manifesté si merveilleusement sa présence. Pierre Robert, religieux de l’abbaye de Toussaint de Châlons, et curé de Melette, obtint la translation de son église dans celle de Notre-Dame-de-l’Épine ; ses paroissiens l’y suivirent avec empressement, et fondèrent en quelques années le village de L’Épine (51).
Notre-Dame-de-l’Épine n’attire plus les pèlerins de la Champagne, mais ses sculptures et ses verrières indiquent encore son origine ; son jubé porte la miraculeuse statue de la Vierge découverte dans un buisson par les bergers. Ces souvenirs ineffaçables exciteront bientôt la piété des fidèles, et de toutes les bourgades sortiront de fervents chrétiens qui proclameront partout la puissance de Notre-Dame-de-l’Épine.
Alexandre ASSIER (1860)
D’où vient le nom d’Euilly
Voici ce que racontent les habitants d’Euilly (08). Saint Maximin étant mort en Aquitaine, les habitants de Trêves, d’où il était originaire, allèrent chercher son cadavre qu’ils ne voulaient pas laisser en terre étrangère. Or, en traversant les Ardennes, il arriva que le corps du saint fut déposé sur un eulle (petit talus, en patois ardennais). Un paralytique, s’en étant approché, fut tout aussitôt guéri. Or, à l’endroit même où s’était accompli ce miracle, on éleva une chapelle, plus tard remplacée par une église autour de laquelle fut construit le petit village d’Euilly.
Albert MEYRAC (1890)
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