Nord-Pas-de-Calais

Le goitre d’Avesnelles

J’étais dans un jardin d’Avesnelles (59), je renouvelais connaissance avec mes anciennes pourvoyeuses, qui m’offrirent à l’envi des fleurs et des fleurs de la saison. Colombe n’existait plus, mais ses enfants avaient hérité sa bienveillance et une partie de son goitre.
Bel héritage, s’écrira un Lucullus de 1793.
Hélas ! Beau sire, c’est celui de presque tous les habitants d’Avesnelles, les goitres y sont aussi communs que l’amour des procès en Normandie, les savants et les médecins ont tant écrit et raisonné sur cette triste infirmité, que je ne sais à quoi l’attribuer, ce que je puis affirmer c’est qu’elle existe.

Mme CLÉMENT-HEMERY (1829)

Le roi des Guétifs

Allons jusqu’à l’Artois, dans la commune de Pas (62). C’est dans le sein du peuple que le roi des Guétifs était choisi. Explique qui pourra ce nom. Ce qu’il y a de certain, c’est que le roi des Guétifs avait sous ses ordres la très nombreuse compagnie des Francs Hommes. Chaque année, le 1ᵉʳ janvier et à la Saint-Martin, il se rendait, à la tête de sa troupe, auprès des échevins. Ceux-ci, qui savaient bien le motif de sa visite, accordaient au monarque populaire une certaine somme pour se divertir, lui et les siens, pendant deux jours.
Alors commençait une sorte de juridiction non prévue par les lois et très sommaire. Sa Majesté prenait connaissance des différends qui, dans le cours de l’année, s’étaient élevées entre maris et femmes. Si le mari avait administré à sa moitié quelque correction un peu trop verte, le roi des Guétifs ne concluait pas contre lui et cherchait même à atténuer ses torts, afin que toute puissance resta à la barbe. Mais malheur à la femme qui avait empiété sur l’autorité maritale ! Celle-là avait beau alléguer les meilleures raisons du monde, démontrer par exemple que son époux se plaisait trop à vider les pots de genièvre ou à agiter les cornets à dés, elle était bel et bien condamnée ; et la sentence n’était pas plus tôt rendue, qu’on la mettait à exécution. (…) Levant l’audience, il se rendait avec ses Francs Hommes au domicile de la délinquante ; là, il donnait le signal en arrachant la première paille de la toiture de chaume ; les Francs Hommes se mettaient à l’œuvre, et bientôt la maison n’avait plus de toit que le bleu du ciel. C’était au mari trop conciliant avec son épouse de supporter la remise en état !

Alfred Des ESSARTS (1862)

L’ermitage du bois de la Croisette

Il existait dans la cour de l’ermitage une vieille chapelle qui, chaque année, à la mi-Carême, attirait un immense concours de pèlerins, qui venaient à Saint-Rémy-Chaussée (59) offrir leurs prières et leurs dons au grand saint Antoine.
On raconte, à l’occasion de ce pèlerinage, qu’un paysan, s’étant égaré pendant une nuit obscure dans un sentier étroit de la forêt voisine, fit rencontre d’un animal qui lui parut semblable à un mouton. Il pensa que quelque pâtre l’avait perdu, ou peut-être c’était une offrande échappée des mains de saint Antoine. Comme l’animal paraissait docile, le paysan délia la courroie qui lui servait de ceinture, l’attacha au cou du prétendu mouton qu’il chargea sur ses épaules, dans l’intention de le remettre au propriétaire, ou à défaut, d’en faire son profit ; mais à peine eut-il fait quelques pas, qu’il entendit dans le lointain une voix qui criait :
— Ouh… ouh !
À laquelle l’animal répondit aussitôt d’un ton aigu :
— On me carriole… on me carriole !… (ce qui dans l’idiome du pays signifie : ou m’emmène ou me charrie). Justement effrayé de ce phénomène, le paysan voulut se débarrasser de son fardeau, mais quel fut son étonnement, lorsque au lieu de l’animal qu’il portait, il n’aperçut plus qu’un amas de vapeurs lumineuses, au milieu desquelles lui apparut très distinctement l’image du saint avec tous ses attributs. Une petite chapelle en bois fut érigée en ce lieu miraculeux, (elle existait encore en 1818) et l’on prétend y avoir vu et entendu plusieurs fois le singulier animal, mais personne n’est plus assez hardi pour en charger ses épaules.

Mme CLEMENT HEMERY(1829)