Pays-de-la-Loire

Les grenouilles et les canards

On raconte qu’il y avait dans le village d’Avort (commune de Louerre - 49), à une époque fort ancienne, une chapelle desservie par un ermite dont le nom ne nous est point parvenu. D’aucuns prétendent qu’il mourut en odeur de sainteté.
Sa demeure de solitaire était au bord d’un ruisseau dont les rives sont restées charmantes.
Le saint homme passait fort souvent le jour et la nuit en prières, mais il avait presque toujours à se plaindre du chant des grenouilles et des canards, fort nombreux sur le petit cours d’eau. À bout de patience, l’ermite « conjurit » les grenouilles et les canards.
Depuis ce temps, les grenouilles ne chantent plus ; les canards sont privés de postérité et ont les pattes effroyablement torses.
Les paysans qui m’ont conté cette histoire affirment que l’anathème du saint porte encore ses fruits. Je ne parle pas des canards, dont l’élevage a été fort abandonné à Avort. Les grenouilles chantent fort peu, peut-être parce que les eaux du ruisseau d’Avort sont très froides et leur plaisent peu pour cette raison.
Il reste à Avort quelques pans de murs très informes qui passent pour être les restes de l’ermitage.

Lionel BONNEMÈRE (1886)

La Chasse de Saint-Hubert

La Chasse de Saint-Hubert à Guéméné-Penfao (44) se compose d’une longue série de blocs alignés ; elle débouche d’un vallon sauvage, puis elle se lance à travers les landes de Lugançon, les bois du Luc et du Pont ; le cerf, très en avant de la meute, est arrivé jusqu’au bord de l’Isac : c’est le menhir de Lausé ; plus loin dans la forêt du Pont, un ensemble formé de plusieurs blocs est la voiture de la chasse. Tout ce groupe eut vie, mais il fut pétrifié par saint Hubert, irrité contre un chasseur qui avait juré de forcer un cerf avant la messe le jour de Pâques ; emporté par l’ardeur de la chasse, il n’avait pas entendu sonner l’office, et, au moment de l’élévation, il fut changé en pierre ainsi que ses compagnons, la meute et le cerf.

Paul SÉBILLOT (1904)

Les Juhelettes

Près du château de Mayenne (53) du baron Juhel, il y avait un moûtier habité par des moines qui étaient de ses amis. Ses deux filles s’y rendaient souvent et la méchanceté s’en mêla. On disait tout bas que le Prieur aimait la blonde et le Cellerier la brune.
C’était mal parler, car il n’en était rien. Nos damoiselles de Mayenne, en ces temps de rudesse, allaient trouver au moutier des heures de paix, des conseils, confier au plus quelques-unes de ces pensées intimes mi-pieuses, mi-tendres, qui tournaient parfois dans l’âme des jeunes filles.
Mais un matin, dès l’aube entrouverte, les jeunes châtelaines passèrent le pont-levis.
Le guettier de la haute tour les vit et en fut un peu surpris ; elles allaient, pensa-t-il, beaucoup plus tôt que de coutume visiter les manants pauvres du voisinage. D’ordinaire, elles ne sortaient, en effet, à cette heure hâtive, que lors des chasses au lanier.
Le jour s’écoula, le soir vint, et une nuit noire, où ne pointait pas une étoile, enveloppa les tours et les créneaux des murailles, sans qu’elles fussent rentrées. On les avait vainement cherchées dans le château, dans le bourg et aux environs : l’inquiétude était à son comble.
Un page jaloux et mauvais finit par dire qu’il les avait vues, le long des lices, avec deux moines, prendre le chemin de la campagne. C’était de la scélératesse de sa part et il ouvrait le champ à la calomnie qui avait été contenue jusqu’alors.
Leur mère tomba en pâmoison, le baron, outré de colère et d’indignation, appela ses chevaliers :
— Chevauchez, leur dit il, jusqu'à ce que vous les trouviez.
Ils partirent ; lui allait droit au moutier pour s’emparer des moines, mais ils connaissaient sa violence et ils s’étaient enfuis.
Les hommes de Juhel chevauchèrent toute la nuit, parcoururent les hameaux, frappèrent à toutes les portes ; ils ne trouvèrent pas les fugitifs. Le Bouteiller, qui avait pris le chemin du Fauconnier (commune de Saint-Georges-Buttavent.) pour gagner la forêt, découvrit au lever du jour les deux Juhelettes à l’ermitage du Hec, sous des habits de paysannes. Elles dormaient sur un lit de feuillage.
Ramenées aussitôt au château, leur père ne voulut pas les voir. Dans son courroux, il les eut tuées peut-être ? Non, il méditait un projet plus atroce. Elles crièrent aux chevaliers qu’elles étaient innocentes, qu’elles allaient, pieds nus, faire en pauvresses un pèlerinage à Saint-Michel-du-Mont. On ne les écouta pas et elles furent descendues dans une basse-fosse du donjon.
Juhel devint très sombre, réunit toute sa maison et dit :
— Mes filles sont mortes, qu’on ne m’en parle jamais, ni des moines non plus.
Et sa femme comme ses chevaliers gardèrent le silence, car il était terrible. Lorsqu’il avait donné un ordre, aucun de ses familiers n’eût osé le discuter.
Le baron fit bâtir deux tours dans la forêt de Mayenne, l’Artoire et la Rébette, et y enferma ses filles. Les portes en furent murées, et chaque jour un de ses sergents leur passait du pain, des racines et de l’eau, par une étroite ouverture.
Pour achever sa vengeance, il mit de sa propre main le feu au moutier abandonné, ricana d’une façon horrible pendant qu’il brûlait. L’évêque voulut intervenir, il le repoussa. Le pape le menaça, ce fut inutile, il l’excommunia, dès lors Juhel devint abhorré de tout le pays du Maine.
Vingt ans se passèrent. Les recluses devenues des squelettes à cheveux blancs, ne poussaient que de faibles et rares gémissements, qui ne dépassaient guère les murs de leur prison. Il n’y avait pas eu un chevalier assez hardi pour braver les ordres de son maître et sauver les deux infortunées. Leur jeunesse s’était écoulée dans les tortures d’un long désespoir. Au gré de leurs désirs, elles mouraient trop lentement.
En devenant vieux, Juhel s’apaisa, pensa à son âme, à la miséricorde divine dont il aurait besoin. Avait-il été un justicier selon le droit et la charité ? La voix de sa conscience, longtemps étouffée, lui affirma sa faute et il ne tarda pas, quand il voulut se renseigner, à reconnaître qu’il était criminel vis-à-vis de ses filles et vis-à-vis des moines.
Poussées par un sentiment de piété et aussi de folle aventure, les deux damoiselles avaient en effet entrepris le voyage du Mont-Saint-Michel, et dans la crainte de rencontrer des obstacles à leur projet, étaient parties seules à l’insu de tous. Défaillantes et les pieds ensanglantés, il leur avait fallu se réfugier pour la nuit chez l’ermite du Hec.
Juhel pleura, il était trop tard ; il rappela ses filles, il était trop tard. Elles avaient souffert dans leur cœur et dans leur corps et ne pouvaient vivre longtemps : à peine parlaient-elles. Leur seul plaisir consistait à se retrouver sur la haute terrasse de la forteresse ; elles avaient là sous les yeux la vallée de la Mayenne qui leur rappelait sans doute quelques heures riantes de leur jeunesse et aussi la place vide de ce cloître du moutier dont elles aimaient jadis à respirer les lys et les roses.
Peu de temps après, elles moururent épuisées, trop faibles pour supporter l’air et la lumière. Pas un reproche ne sortit de leurs lèvres, et elles eurent encore des sourires de consolations pour le pécheur repentant, elles étaient de ces bons et doux êtres que Dieu épure dans les souffrances et dont il fait des anges.
Personne n’eut pitié de Juhel, qui, sous le poids de ses crimes, partit pour Rome, afin d’en demander au pape la rémission. À son retour, il rendit aux moines tous leurs biens dont il s’était emparé et leur donna de l’argent pour bâtir un nouveau monastère, près de la forêt de Mayenne, à Fontaine-Gehard (commune de Châtillon-sur-Colmont).
On a vu pendant longtemps voler le soir, dans le voisinage de l’Artoire et de la Rehette, deux oiseaux blancs comme des colombes poursuivis par un vautour. C’étaient les Juhelettes de Mayenne et leur père qui revenaient sous ces formes représentant la douceur et la cruauté. Les prières des moines de Fontaine-Gehard finirent par racheter les forfaits du baron de Mayenne, et dès lors la vision disparut.

GROSSE-DUPERON (1905)

La maison du chapelet

Il existait, à l’extrémité ouest du bourg de Champrond (72), à droite dans une prairie et sur le bord de la route, une maison isolée connue sous le nom de « la maison du chapelet ». Dans cette maison, existait autrefois, et peut-être encore aujourd’hui, pendu à un poteau enclavé dans le mur du fond, un chapelet fait de grosses mailles de bois qui avait noirci avec le temps. Une superstition était alors attachée à cette maison, et surtout à ce chapelet, qu’il ne fallait pas même changer de place.
Il y avait en outre, pour ceux qui l’habitaient, obligation de faire, tous les ans, pour la messe de minuit, un pain béni. Si on manquait à cet usage, il se faisait la nuit même dans la maison un vacarme à effrayer les plus intrépides.
Or, il y a environ trente-cinq ans, le locataire qui l’habitait, étant dans le besoin et chargé de famille, ne put faire le pain bénit. Alors le bruit ne se fit pas attendre ! On entendit remuer du bois dans le grenier, bien qu’il n’y en eut pas ; on y remue aussi du blé, bien qu’il n’y en eût pas ; on entendit remuer les cendres, allumer, souffler le feu, remuer la pelle et les pincettes.
Le locataire allumait la chandelle et trouvait les cendres, la pelle et les pincettes dans l’état où il les avait laissés en se couchant.
Cependant, l’effroi gagnait la maison, excepté toutefois le maître lui-même. Mais sa femme et ses enfants ne dormaient pas.
Enfin, une nuit, on entendit comme un plafond qui se crève et quelque chose de lourd tomber lourdement sur un meuble, en faisant entendre en même temps un fort gémissement. Si bien que lorsqu’on raconta le fait, le lendemain, à la grand-mère de l’auteur qui croyait à la superstition attachée à cette maison, elle donna, pour faire cesser cette erreur, la farine, le beurre et les œufs pour faire le pain bénit.
Et depuis lors, nul bruit ne s’est fait entendre et les locataires demeurèrent en paix.

Prosper VALLERANGE (1861)

L'urne de Cana

Voici une très belle urne antique qu'on a pu voir très longtemps au Jardin des Plantes.
René d'Anjou la donna à la cathédrale, le 19 septembre 1450, comme une relique sainte ; ce serait, d'après la tradition populaire que les chanoines ont accréditée tant qu'ils ont pu, une des urnes dans lesquelles Jésus-Christ changea l'eau en vin aux noces de Cana.

Lucien d'HURA (1882)

Casser l’œuf

C'est une de ces farces un peu grossières que l'on aime à jouer dans les veillées vendéennes (85). Un œuf frais doit être caché quelque part et l'un des veilleux a la tâche de le trouver.
Un compère fait entendre à quelque jeune nigaud que la cachette la plus sûre est le fond de son chapeau ou de sa casquette.
Lorsque le chercheur, prévenu d'un coup d’œil, arrive à la victime désirée, il lui écrase, d'une tape, l’œuf sur le crâne.
On voit d'ici l'omelette et de quel cosmétique sont enduits les cheveux du patient.

A.J. VERRIER & R. ONILLON (1908)

Créez votre propre site internet avec Webador