Centre

La mule convertie

Bourges (18) possède en outre trois églises paroissiales, la première est l'église de Saint-Pierre-le-Guillard.
Une bizarre légende se rattache à la fondation de cette église. On rapporte que son nom lui vient d'un certain juif appelé Guiald ou Guyard, lequel ayant entrepris une discussion religieuse avec St. Antoine de Padoue, fut vivement pressé de se convertir à la foi chrétienne.
À bout d'arguments, l'hébreu répondit qu'il ne le ferait que s'il voyait sa mule adorer le Saint-Sacrement. Le saint ayant présenté l'hostie à l'animal, celui-ci s'agenouilla, et son maître, convaincu par ce miracle, se fit baptiser, et de ses deniers construisit l'église qui porte son nom.
Cela se passait vers l'année 1220. Un tableau qu'on voit encore dans le temple consacre ce fait mémorable.

Hippolyte BOYER (1848)

Clovis et Saint-Martin

L’histoire publique de la basilique de Saint-Martin, à Tours (37), commence avec Clovis, le premier de ces illustres visiteurs qui allaient s’y succéder de siècle en siècle. En 307, le roi franc, marchant contre les Wisigoths, avait envoyé des présents au saint tombeau, et chargé son messager d’écouter le chant des psaumes en entrant dans la basilique, dans l’espoir d’y trouver un présage.
Au moment où l’envoyé du roi mettait le pied sur le seuil, on chantait cette antienne : Tu m’as ceint de force pour la guerre y Seigneur ; tu as mis sous mes pieds ceux qui s’élevaient contre moi. Animé par ces paroles, où il vit un pronostic de victoire, Clovis attaqua les Wisigoths à Vouillé, et les mit en pleine déroute.
À la suite de cet événement, il vint lui-même à Tours, et après avoir offert à saint Martin son cheval de bataille, il voulut le racheter au prix de cent pièces d’or ; mais le coursier demeura immobile, et refusa de se laisser emmener. Le roi doubla la somme, et l’animal obéit à son maître.
Les vieux chroniqueurs auxquels nous empruntons cette naïve légende prêtent à Clovis une saillie toute gauloise : "Saint Martin est d’un bon secours, aurait-il dit gaiement ; mais il se fait bien payer."

Casimir CHEVALIER (1869)

Le dernier charivari

À Bonneval (28), en 1785, il y eut un charivari extraordinaire qui dura neuf jours. La cause était celle-ci : le futur, originaire de la ville, ayant été cherché une épouse dans une commune limitrophe, était entré dans Bonneval avec elle et les invités, sans avoir pris soin de mettre un violoneux en tête du cortège.
Par suite, la jeunesse se voyait frustrée du droit d’aller le soir danser à la noce. De là, motif suffisant pour faire un charivari monstrueux. Le bailli de la ville et le curé de la paroisse ne purent faire cesser cette bacchanale infernale, dont les instruments mis en usage à cet effet consistaient en tambours, cornets, bouquins, pelles, pincettes, tonneaux vides, etc.
On vit renouveler, pendant une semaine, chaque soir, le même charivari, auquel prenaient part, comme spectateurs, de nombreux habitants des communes limitrophes. On pouvait entendre dans ces occasions une suite de couplets improvisés, satiriques, calomnieux et diffamatoires, lesquels avaient été composés contre les nouveaux mariés, et que les assistants répétaient en chœur.
Le scandale fut si grand que l’autorité supérieure crut devoir prendre des mesures énergiques pour prévenir, à l’avenir, un esclandre aussi tumultueux. C’est le dernier charivari qui eut lieu dans cette ville.

Adolphe LECOCQ (1875)

La malédiction des meuniers

Sur le vaste plateau de nature calcaire qui domine au sud-est la partie de l’étroit vallon de Ligneraie (36), où verdoie le pré à la dame et où s’épanche le Font Chancela, s’étend une vaste plaine nue et pierreuse, connue dans les environs sous le nom de Chaumoi de Montlevic. Ces champs, tristes et déserts, sont peuplés durant la nuit d’apparitions bien étranges.
Une apparition, non moins lugubre, dit-on, ne se manifeste qu’aux protégés de Saint Maure (les meuniers) lorsqu’il leur arrive de traverser à minuit ces mornes solitudes. De longues files de grands fantômes, à genoux, la torche au poing, et revêtus de sacs de farine apparaissent soudainement à droite et à gauche du sentier que suit le passant et l’accompagnent silencieusement jusqu’aux dernières limites de la plaine, en cheminant à ses côtés, toujours à genoux, et lui jetant sans cesse au visage une farine âcre et caustique.
Les riverains de Ligneraie prétendent que ces blancs fantômes seraient tout simplement les âmes des clients mécontents des services des meuniers.

LAISNEL DE LA SALLE (1875)

Le serpent monstrueux

En face de Thoré-la-Rochette (41), sur les bords du Loir, s'élèvent des masses de rochers percés dans tous les sens, de cavernes qui ont été ou sont encore habitées. Si l'on en croit la tradition, une de ces grottes fut jadis le repère d'un serpent monstrueux qui, rampant en travers la route, ancien chemin de Vendôme au Mans, taillait encore des niches dans le roc, épiait les voyageurs et les dévorait au passage.
Le monstre inspirait une terreur telle que personne n'osait plus s'approcher de ce lieu funeste. Un héros se dévoua pour le salut de tous. Monté sur un char, dont les roues étaient armées de lames tranchantes, il lança ses chevaux au galop sur l'étroite saillie de la corniche et, passant sur le corps du serpent, il le coupa en trois énormes tronçons, qui, roulant jusqu'au bord du précipice, s'engloutirent dans les eaux du Loir.

Félix CHAPISEAU (1902)

Les troupeaux bien protégés

Les fermiers des environs de Buzançais (36) ont la déplorable coutume de suspendre un certain nombre de pies, tuées exprès par eux, dans leurs écuries, afin, disent-ils, que cela porte-bonheur aux bestiaux qui les habitent. Il en résulte une odeur abominable. Un de mes amis voulut faire enlever un jour d’une de ses métairies quelques-uns de ces oiseaux tombés en complète putréfaction, mais tous ses efforts échouèrent devant la résistance du fermier, qui prétendit que son maître n’avait absolument pas le droit d’exiger de lui une semblable chose C’était vouloir le ruiner !
Dans le même pays, on n’ôte jamais les toiles que les araignées tissent au plafond des étables et qui pendent en girandoles chargées de poussière presque jusque sur le dos des bestiaux. À entendre les paysans, cela porte également bonheur à leurs troupeaux.
Mais la croyance la plus curieuse de ce pays est la suivante.
Les habitants sont convaincus que lorsqu’il fait de la grêle, on peut être assuré que c’est la faute d’un prêtre fantastique dont quelquefois, paraît-il, on aperçoit la forme dans le nuage dévastateur. Nous croyons, pour notre part, qu’une superstition très analogue existe dans la partie vendéenne du département de Maine-et-Loire. Nous nous souvenons fort bien, en effet, avoir entendu dire dans notre jeunesse que certains prêtres avaient le pouvoir néfaste de faire tomber la grêle dans tel ou tel endroit. Comme dans cette région on trouve encore parfois du gui sur les chênes et que l’on pense que jadis les évêques seuls avaient le droit de le couper, il est fort possible que dans ces prêtres fantastiques, il faille voir le ressouvenir des druides qui, eux aussi, se vantaient de commander aux éléments.

Lionel BONNEMÈRE (1890)

La bête d’Orléans

En ce temps-là, Orléans (45) était presque une ville abandonnée. Une bête énorme en ravageait les environs, elle était de taille fabuleuse ; son corps était recouvert d’énormes écailles, si épaisses, si dures que les bals des chasseurs ne pouvaient la traverser. Personne n’osait approcher de cette cité, parce que la bête monstrueuse, cachée dans les fourrées, poursuivait les voyageurs, les mettait en lambeaux et suçait leur sang jusqu’à la dernière goutte.
Piétons, cavaliers et rouliers avaient tous vu, dit-on, de loin la fameuse bête qui avait dévoré des familles entières. Elle portait ses ravages à trente lieues de distance, entre le lever et le coucher du soleil. Les noms des victimes étaient cités : un jour, c’était la mère X de tel village, qui, chargée de son fagot de bois, avait été emportée au fond de la forêt ; le lendemain, c’était le berger de maître Y qui, ramenant son troupeau, avait été dévoré au fond d’un ravin ; une autre fois, c’était une fillette, surprise non loin du village. Vaches, moutons, cochons, tout lui était bon.
Des battues étaient organisées, mais sans résultat. La bête avait échappé aux recherches, ou bien quelques vantards l’avaient tirée, presque à bout portant, sans pouvoir la blesser. Et les victimes se succédaient toujours.
Le conteur se livrait à tous les écarts de son imagination ; suspendus à ses lèvres, hommes, femmes et enfants palpitaient et s’apitoyaient sur les malheureuses victimes. Les yeux étaient fixes, les bouches béantes, les mains inertes. Impossible de dépeindre l’état d’exaltation, de frayeur, dans lequel se trouvaient conteur et auditeurs. Et si, par le huis disjoint, la bise eut soufflé un peu fort, nul doute que les nerfs aient surexcité les veilleurs, croyant entendre encore les mugissements de la bête.
Chaque fois que l’histoire de la bête revenait, non pas sur le tapis, mais sur la paille du veillon, si on était un nombre impair, jamais plus de treize mais pas moins de neuf, on terminait la soirée en chantant la complainte sur la bête.
Cette complainte reflète admirablement l’état d’esprit de nos aïeux, mélange confus de superstition et de pitié naïve qui se complaisait dans ce récit, où l’horreur des détails le disputait à l’invraisemblance des faits.
La bête d’Orléans s’évanouit un beau matin. Les ravages cessants, la quiétude revint et Orléans et ses environs reprirent leur physionomie d’autrefois.

Félix CHAPISEAU (1902)

Dénouez les aiguillettes

Par une ordonnance ecclésiastique et les attendus synodaux du diocèse de Bourges (18), en 1608, sur ce que nous avons entendu que les maléfices sont fréquents dans cet endroit, et même pratiqués dans les églises, pour troubler et empêcher les faits des mariages, en préjudice de l’honneur dû à Dieu et aux sacrements, nous enjoignons à tous, curés et vicaires, de déclarer pour excommunier, de notre part, au prône de leur messe paroissiale, dès à présent, tous ceux qui useront de tels maléfices, soit par le moyen d’aiguillettes ou tout autrement.

THIERS Jean-Baptiste (1777)

Le miracle qui défiscalise

Un prêtre de Chinon (37), Bernard, surnommé le Bon, voulant rétablir dans un état plus convenable l’église de Saint-Mexme, consacra à cette œuvre pieuse toute sa fortune. Après en avoir dépensé la majeure partie pour pouvoir terminer ces grands travaux, il mit sur un bateau tout son vin et le conduisit à Nantes pour le vendre plus cher. 
Mais à son arrivée au port, le bateau fut envahi par les officiers de la comtesse de Nantes, qui vinrent avec des outres pour les remplir de vin. Le Ciel se chargea de venger par des maladies cette violation de la propriété de saint Mexme : les officiers repentants offrirent des dons en argent à Bernard, et lui permirent de vendre son vin sans payer aucun droit au fisc.

Casimir CHEVALIER (1869)

Le confinement à Nogent-le-Rotrou

Au milieu du XIXe siècle, une épidémie de choléra sévissant à Nogent-le-Rotrou (28), la municipalité, par mesure d’hygiène, ordonna d’arroser, chaque matin, le devant des maisons. (La source des Lambert, à cette époque, n’alimentait pas encore la ville). Les paysans percherons se firent rares le jour du marché : ils prirent cette mesure d’hygiène pour un maléfice qui n’avait d’autre but que celui de vicier l’air et de répandre le choléra. Les Nogentais, de leur côté, s’enfermaient chez eux, aussitôt après l’arrosage, persuadés que les miasmes seraient absorbés par les campagnards en arrivant à la ville ; après quoi, ils pouvaient sortir sans crainte.

Félix CHAPISEAU (1902)

La famille trop gourmande

Le renard invita un jour le loup à visiter certain poulailler d'Ineuil (18), où se trouvaient douze poules et un coq. Le renard mangea modérément, mais le loup goinfra tellement que la peau de son ventre en a craqué et qu’il en est crevé.
Le renard alla trouver la louve pour lui faire part de cette fâcheuse aventure. Elle voulut voir une dernière fois son cher mari, mais à peine arrivée au poulailler, elle ne songea plus qu’à se régaler. Elle mangea tant qu’elle put ; elle n’en mourut pas, mais elle y gagna un mal de ventre qui lui dura bel et bien sept ans.
Un jour qu’elle se plaignait de ses coliques, ses enfants lui dirent :
— C’est bien fait, fallait pas être si gourmande.
Vexée, elle ne répondit rien sur le moment, mais quelques jours après elle leur fit visiter un poulailler bien garni, où ils se remplirent si bien la panse qu’ils en crevèrent comme leur père. La louve était vengée de l’impertinence de ses enfants.

Eugène ROLLAND (1877)

La fontaine Saint-Jean

La fontaine publique de Saint-Jean-Pierre-Fixte (28) jouit depuis longtemps, grâce à la bénédiction du bon Saint-Jean, d'une célébrité cantonale et produit chaque année des cures merveilleuses. Mais ces eaux ne sont efficaces qu'à condition d'être puisées la veille de la fête du saint ; aussi, ce jour-là, la commune les afferme à un spéculateur qui, pendant toute la journée, les débite, à raison d'un sou la cruche, à une foule de personnes qui, ensuite, les conservent précieusement et peuvent le reste de l'année les employer aux besoins de se guérir de tous maux. Ainsi, on remarque en effet que ces personnes n'éprouvent jamais ni maladie, ni accident quelconque ; à moins pourtant, qu'elles n'aient pas une foi assez vive, car alors les eaux deviennent sans vertu. Et c'est ce qui arrive presque toujours, mais ce n'est la faute, ni du saint, ni de sa fontaine. Une autre condition est encore de rigueur pour que la vertu opère ; c'est de se faire dire, à l'église de saint Jean qui est tout près de la fontaine, un petit bout d'Évangile pour la bagatelle d'un sou, juste le prix de la cruche d'eau.
La pluie de sous ne manque jamais le 23 juin ; le nombre d'évangiles et celui des cruches est toujours très considérable. Le fermier des eaux et le curé diseur d'évangiles font toujours grasses recettes et peuvent s'assurer, chacun de son côté, que les progrès incessants du panthéisme et de l'éclectisme n'ont pas encore porté la plus légère atteinte à la foi en la fontaine du bon saint Jean. Heureuse commune, puisses-tu conserver longtemps ton innocence et préserver les douces brebis de la dent dévorante des dons universitaires.
Les eaux de notre fontaine, prises comme boisson, sont certainement d'un effet prodigieusement bienfaisant. Mais il est des cas graves où elles doivent être administrées d'une autre manière et il faut alors une immersion complète du malade dans l'auge de pierre destinée à recevoir les eaux. Comme cette auge n'est pas assez grande pour recevoir les adultes, et que, d'ailleurs, il serait peu décent d'aller, in naturalibis, prendre en public le bain merveilleux, il est admis que les personnes, de l'un et de l'autre sexe, peuvent se borner à tremper leur chemise dans l'auge, et ensuite, elles vont derrière une haie se dépouiller de leurs vêtements et s'appliquent sur le corps la chemise imbibée d'eau glaciale. Ce cabinet de toilette en plein air n'est peut-être pas très conforme aux règles du décorum, mais les malades, ou ceux qui craignent de le devenir, ont vraiment bien autre chose à faire qu'ajouter un regard indiscret sur leurs voisins et voisines. D'ailleurs, il est reconnu que le froid excessif, causé par l'application subit du vêtement mouillé, joint à la sainte influence du patron de la fontaine, éteint immanquablement le feu de la concupiscence et excite au contraire les sentiments d'une componction immaculée. (...)
L'emploi de la chemise mouillée n'est que pour les grandes personnes, qui ne pourraient, à cause de leur stature, prendre un bain complet. Mais pour les enfants malingres, souffreteux, créatures délicates, que les secours de la médecine, ni des soins attentifs ne peuvent ramener de suite à la santé, ô, pour ceux-là, il y a un moyen expéditif. On les plonge tout nus dans l'auge de la fontaine, avant le lever du soleil. Et ma foi, grâce au saint, leur sort se décide à l'instant. Ça les fait aller ou venir, selon le mot consacré. Comment, direz-vous, mais c'est un meurtre ! Mais très peu d'enfants doivent résister à cette épreuve homicide ! Et les mères ont la barbarie de sacrifier ainsi leurs enfants ! Eh, sans doute, cela se fait le plus tranquillement du monde, au vu et au su de l'autorité qui ne manquerait pas de condamner, comme homicide par imprudence, une nourrice qui aurait négligé de préserver, par un parapet, l'enfant confié à ses soins, à la chute dans un fossé. Ici, il n'y a pas imprudence, il y a préméditation, il y a calcul à froid. Mais cela se fait sous l'invocation du bon saint Jean et, alors, c'est bien différent.
Les mères ne cèdent même pas à l'entraînement de la foi, car elles ne se flattent pas que l'immersion de leurs petits enfants leur rendra la santé. Non, seulement, elles veulent devancer l'avenir. Si l'enfant était destiné à être guéri, il le sera tout de suite par son merveilleux bain. Si au contraire, il était écrit, au grand livre du destin, que le pauvre enfant ne devait jamais se rétablir, alors, une mort prompte le délivre du fardeau de l'existence. Au lieu de se traîner piteusement quelques semaines, quelques mois, peut être quelques années, on le guérit subitement et radicalement de tous les maux. N'est-ce pas un bienfait, n'est-ce pas une belle chose que la foi en la vertu des saints ; les résultats ne sont ils pas charmants ?
signé BB, marguillier de Pierre Fixte

in Tribunal correctionnel de Nogent-le-Rotrou (1844)

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