
Franche-Comté




Le pique-nique fantomatique
Rendons-nous à la montagne toute boisée où s’élèvent les ruines solitaires du château d’Oliferne (39), antique dominateur des sombres vallées de l’Ain, de l’Anchéronne et de la Vallouse. Célèbres par leurs enchantements, les flancs de cette verte montagne retentiront toujours du son des cors, des voix humaines et des aboiements prolongés qui composent le concert magique où se plaît encore, dit-on, l’âme de l’ancien seigneur de cette terre, comme on entendra toujours ailleurs les chasses miraculeuses du bon roi Arthus.
Un garde forestier, témoin oculaire de ces prodiges, m’assurait, il y a bien longtemps, tout ému qu’il en était encore, qu’attiré un beau matin par le bruit de la chasse, il était arrivé à une clairière de la forêt, que là il avait trouvé rassemblés, sous les amples rameaux d’un chêne, une foule de grands seigneurs, de belles dames et de piqueurs, les uns mangeant sur le gazon, les autres gardant les chevaux ou distribuant la curée à de nombreux limiers ; que la joie la plus vive animait le banquet ; que, n’osant aborder une société aussi brillante, il s’était reculé ; qu’il avait pris, pour s’échapper, un oblique sentier dans le bois ; mais qu’enchanté d’un spectacle si nouveau pour lui, il avait retourné la tête, afin d’en jouir encore… Plus rien, tout avait disparu.
Hippolyte MONNIER et Aimé VINGTRINIER (1874)
Le débordement miraculeux du Frais-Puits
Sur le territoire de Frotey (70), ou plutôt de Quincey, se trouve une source remarquable appelée le Frais-Puits. C’est un trou large de 80 pieds et profond du double, d' où l’eau déborde après les grandes pluies et couvre toute la campagne : l’inondation dure au plus trois jours.
Au mois de novembre 1557, l’armée du baron allemand Polwiler assiégeait Vesoul. On fit jour et nuit des prières dans toutes les églises, et c’était uniquement du ciel que les Vésuliens attendaient leur salut. Une sainte femme qui vivait en ce temps-là disait que Notre-Dame lui avait fait une révélation et que Vesoul serait sauvée par la Providence. Cependant les assiégeants hâtaient leurs travaux et serraient la ville de plus près. L’assaut était décidé pour le lendemain. Voilà que tout-à-coup le ciel se couvre de nuages, la pluie tombe sans cesser pendant vingt-quatre heures, la foudre tombe sur un des flancs du Frais-Puits et donne issue aux eaux enfermées en cet endroit. Le progrès de l’inondation effraya tellement les Allemands qu’ils levèrent le siège à la hâte, abandonnant échelles, artillerie, tambours et bagages, voire, chose incrédible entre les Allemands, dit Goulut, les bouteilles mêmes et les barils remplis de vin.
C’est sans doute cet évènement du XVIe siècle qui a donné lieu à une tradition populaire qui dit que César a reculé devant la mer de Vesoul, « Mare Vesulium ».
Charles THURIET (1892)
La mort de Saint-Dizier
Saint-Dizier en sortant de Villars-le-Sec rencontra le diable ; pour l’éviter il s’enfuit dans un bois voisin et se réfugia sur un chêne ; le diable l’y poursuivit, et tous deux sautèrent par terre, laissant la trace de leurs pas sur une grosse pierre qui doit se trouver encore à l’entrée de la forêt de Villars-le-Sec.
Le Saint, dans sa course, s’arrêta sur le territoire de Croix et se reposa dans un endroit où on érigea une croix, puis toujours poursuivi, se sauva dans l’église et laissa tomber une goutte de sang sur une pierre placée à l’entrée ; s’échappant ensuite par une fenêtre, il gagna le village du Val, puis désespéré, il tomba et se noya dans la fontaine de ce lieu d’où on le retira pour l’enterrer dans l’église de Saint-Dizier (90).
Anatole de BARTHÉLEMY (1874
Échapper à la Vouivre
Considérons comme un globe lumineux l’œil de la Vouivre, le fanal dont elle s’éclaire dans ses courses aériennes, et qu’elle dépose sur le bord de la source, quand elle descend de ses hautes demeures pour se désaltérer ; mais n’oublions pas que ce globe est la chose du monde la plus précieuse.
Il est un objet de convoitise pour tous ceux qui voudraient être les plus opulents habitants de la terre, afin d’aller mettre leur fortune aux pieds de la beauté qu’ils aiment, et d’obtenir sans peine une main que l’avarice leur refuse. De hardis villageois ont conçu la généreuse pensée de l’enlever, et leur amour les avait déterminés à courir les hasards d’une conquête aussi périlleuse.
Un héros en herbe était de Montrond (39). Pas bien avisé ou trop brave, il prit peu de mesures de précaution contre la terrible adversaire qu’il avait à dévaliser. Il ne s’était pourvu que d’une pioche, ayant appris par la voix publique que la Vouivre du château de Montrond se retirait de jour dans un trou pour dormir. Certainement, il aurait perdu la vie en combattant, s’il eût combattu, mais par bonheur pour lui, la première idée qui lui vint, dès qu’il la vit s’avancer contre lui, ce fut de se reculer et de fuir à pas précipités. Le jeune Dole (c’était son nom) poursuivi jusqu’au bas de la colline, allait payer bien cher une entreprise aussi téméraire, lorsque, se vouant aussitôt à la Sainte Vierge, il fut enfin délivré des attaques de la Vouivre, en tombant évanoui de peur. Revenu bientôt de sa pâmoison, Dole reconnaissant érigea, sur le théâtre de sa délivrance, un oratoire à Notre-Dame, oratoire que j’ai vu de mes propres yeux.
Hippolyte MONNIER & Aimé VINGTRINIER (1874)
Notre-Dame de Remonot
Un jour, je faisais une excursion sur toute la grande ligne et les plateaux secondaires du Jura. J’avais passé le Saut-du-Doubs, cette belle et pittoresque cascade, qui n’a rien à envier à celles de la Suisse ; j’arrivai aux Combes (25), en longeant toujours cette rivière, et en prenant les chemins escarpés de préférence à la grande route, au milieu d’une enceinte sauvage de forêts, au pied d’une église taillée dans les flancs de la montagne, comme les demeures des vignerons dans la Touraine. Le roc qui surplombe cette église en forme la voûte. La route de Morteau passe au-dessus ; au bas, un petit sentier qui serpente à travers la plus riante vallée, le long du Doubs, qui l’arrose, et tout autour, des collines bien boisées, des sites agrestes. C’est une ravissante position. Pendant que j’étais là à regarder d’un œil surpris ce tableau singulier, je vis venir à moi une femme qui tenait un enfant par la main. C’était une paysanne de ces montagnes, je la reconnus à son costume : le bonnet coupé carrément, le corset serré sur la taille, la jupe formant de gros plis sur les hanches, les manches de la robe ne venant que jusqu’à la moitié du bras, et la bavette du tablier couvrant toute la poitrine ; outre cela, cette profusion de chaînes en or, et ces énormes boucles d’oreilles que portent les riches paysannes du Jura. Du reste, elle avait toute cette fraîcheur de visage, cet air de santé et de bonheur que l’on retrouve habituellement parmi les habitants des montagnes ; et son enfant était le plus joli petit garçon qu’il fût possible de voir ; les cheveux d’un blond un peu foncé, les joues rebondies et colorées, les yeux bleus pleins de candeur et de vivacité, et le sourire sur les lèvres. Elle s’avança près de moi, et me fit avec grâce un léger salut ; puis, s’apercevant que son fils s’était abandonné complètement à la distraction que lui causait le vol d’une hirondelle sur l’eau :
– Allons, Paul, lui dit-elle, apprends donc à être honnête envers les personnes que tu rencontres.
Et le petit bonhomme, ainsi rappelé au devoir de la politesse, m’ôta précipitamment sa casquette, et vint me tendre la main.
– Comment appelez-vous cet endroit ? lui demandai-je.
– C’est l’église de Remonot, me dit-elle. Ne la connaissez-vous donc pas ?
– Non. Je ne suis jamais venu dans ce pays.
– Ah ! je n’y songeais pas. C’est que, voyez-vous, cette église est si célèbre, si célèbre dans nos montagnes, que je m’imagine qu’elle doit être connue partout.
– Il s’y est donc passé quelque chose de merveilleux ?
– Oh ! je vous en réponds, et chaque jour encore, il s’y passe du merveilleux. C’est une église miraculeuse, monsieur, une église de la Vierge qui guérit toutes les maladies.
– Et vous en avez vu guérir, vous ?
– Si j’en ai vu ? Ah ! certainement que j’en ai vu, et, sans aller plus loin, ce petit Paul qui est là, tenez, il a maintenant les yeux clairs comme cette rivière : eh bien ! il n’y a pas encore deux mois que ses pauvres yeux étaient toujours rouges et enflés. J’avais beau lui faire tous les remèdes imaginables ; j’avais beau consulter tous nos plus fameux médecins, jusqu’au médecin de la ville, que j’allai trouver chez lui un dimanche ; bah ! les médecins n’y connaissaient plus rien. L’un me disait ceci et l’autre cela, et, avec tous leurs grands mots, mon petit Paul ne guérissait point ; tant il y a qu’à la fin je voulus avoir recours à Notre-Dame de Remonot. Il y a là, derrière son autel, une petite source d’eau toute bleue qui résonne comme de l’argent. Je pris mon petit Paul avec moi, et tous les jours je m’en vins ici prier ; ensuite je puisais de l’eau à cette source, et je lui en frottais les yeux, et j’en emportais une fiole, et je lui frottais encore les yeux le soir et le matin quand nous étions chez nous. Huit jours se passèrent ainsi et le neuvième, quand j’eus fait dire une grand-messe à Notre-Dame de Remonot, mon petit Paul se réveilla avec des yeux brillants comme vous les voyez. Aujourd’hui j’apporte une belle robe de taffetas à la Vierge. Entrez, monsieur, entrez ; vous verrez combien elle a déjà fait de miracles.
J’entrai, et tout autour de moi j’aperçus des figures en cire, des tableaux d’ex-voto. La jeune femme déposa son offrande sur l’autel, puis se mit à genoux, y fit mettre son enfant, et pria dévotement avec lui. Après quoi elle se releva, et, s’approchant de moi :
– Monsieur, me dit-elle, nous habitons le chalet que vous voyez là-haut sur la montagne ; si vous vouliez venir vous y reposer, mon mari aime à recevoir les étrangers, et nous avons toujours une place à notre foyer pour les hôtes qui nous arrivent.
Je la remerciai, et, en continuant tout seul ma route, je songeais à ce que je venais de voir, et je me demandais quel serait l’être assez cruel pour ôter à ces bonnes gens leur culte pour la Dame de Remonot ; leur croyance aux miracles, et leur bonne foi ?
Xavier MARMIER (1841)
Création de Vesoul
Autrefois, au temps des druides, une pluie torrentielle inonda le pays bas. Les eaux du Frais-Puits avaient formé un grand lac, au milieu duquel une montagne pointue apparaissait comme une île inaccessible. Une foule nombreuse, sous la conduite des druides, s’était réfugiée sur les hauteurs de Colombe et de Frotey.
C’était le soir. Le soleil, après avoir jeté quelques sinistres rayons sur les campagnes submergées, s'était enveloppé d’un nuage épais, qui ressemblait à une écharpe de sang bordée d’un crêpe noir, et avait disparu derrière la montagne pointue. On eût dit que l’astre du jour s’était éteint pour jamais, tant l’obscurité devint profonde tout-à-coup. Alors le prêtre de Teutatès, jugeant le moment favorable pour s’adresser à la multitude, étendit le bras du côté de l’occident et dit : Vez houl, mots celtiques qui signifient Tombeau du soleil !
Depuis cette époque, on a appelé Vesoul (70) la montagne à l’aspect bizarre, au pied de laquelle une ville a été bâtie plus tard. On sait d’ailleurs que les Celtes avaient coutume d’élever des mottes ou tumuli pour la sépulture de leurs chefs, et que plus le chef était puissant, plus le tumulus était élevé. Ici le tumulus était tellement gigantesque que l'on en fit celui d’un Dieu.
Ch. THURIET (1892)
Le Trou Madame
Autrefois, il y avait au château d’Essert (90) une dame d’une rare beauté à laquelle rendaient hommage tous les gentilshommes des environs. Parmi cette cour d’admirateurs, la belle châtelaine avait distingué le sire du Châtelet, jeune seigneur de haute et fière mine qui avait su gagner sa faveur, et des rapports de bon voisinage s’étaient établis entre les deux châteaux d’Essert et du Châtelet, d’ailleurs peu éloignés l’un de l’autre.
Un jour, par un très mauvais temps, cette noble dame eut la fantaisie d’aller visiter son voisin ; en conséquence, elle commanda son carrosse et ses gens, et partit. Mais à peine à quelque distance de son château, un violent orage éclata. Au lieu de reculer devant la tourmente, la dame persista dans son projet et fit presser l’allure des chevaux qui l’emportèrent alors dans un galop furieux. Tout à coup, à un endroit particulier du chemin, le sol fit un mouvement et un gouffre s’ouvrit au milieu du fracas de la foudre et des éclairs, engloutissant avec la rivière qui s’y précipita, gens, équipage et chevaux dont on ne retrouva plus jamais aucune trace.
D.R. et K. (1893)
Le cheval blanc sans tête
Les habitants de Côges (39) au canton de Bletterans savent, de science certaine, que leur ciel, assez souvent brumeux, est traversé par un chasseur aérien qui presse les flancs d’un Pégase. Mais le merveilleux ne s’arrête pas chez eux à un phénomène aussi commun, ils ont de plus ce que vous n’avez vu nulle part, un cheval blanc sans tête, qui emporte quelquefois des voyageurs dans l’espace, et à perte de vue, d’où ils ne reviennent jamais. Pourquoi, aussi, sont-ils assez imprudents pour se confier à un cheval sans tête, qui ne saurait par conséquent retrouver son chemin ?
Désiré MONNIER (1854)
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