Languedoc-Roussillon

L’ange de Papoul

Lorsque saint Saturnin quitta Rome pour se rendre dans les Gaules, Papoul se joignit à lui, dans le désir de partager ses travaux. Arrivé à Carcassonne (11), ville de la Septimanie, Papoul commença à annoncer la parole du salut aux habitants idolâtres de cette cité. Il fut jeté dans une obscure prison et miraculeusement délivré, dit-on, par un ange.

Abbé A.S (1840)

La prédiction du corbeau

Pourquoi désigne-t-on sous le nom de Rocher du Corbeau un rocher qui domine le coll de la Guilla (col du Renard) dans la vallée de Prats (66) ? Le corbeau est un oiseau sinistre, et il faut qu’il ait laissé dans ces parages de tristes souvenirs.
Ces souvenirs remontent à l’invasion des Arabes, qui provoqua l’immigration des chrétiens dans la montagne.
Près des sources du Tech s’était réfugiée une famille de gens laborieux : le père et la mère cultivaient la terre, Guiselda, leur fille, à peine âgée de quinze ans, allait garder les chèvres dans la montagne. Comme elle était très jolie, les bergers la recherchèrent. Et peu à peu, elle devint coquette.
Guiselda se mirait un jour dans l’eau claire d’une fontaine, garnissant sa chevelure d’une couronne de pampres et son cou d’un collier de verdure, lorsqu’elle entendit une voix qui l’appelait. Elle se retourna, croyant peut-être apercevoir le prince charmant qu’elle rêvait, mais elle ne vit qu’un corbeau haut perché sur un pic.
— Guiselda ! Guiselda ! semblait crier l’oiseau.
Si les bêtes avaient le don de la parole, pensa la jeune fille, je croirais bien que ce corbeau m’appelle. Mais il n’aurait pas une voix aussi mélodieuse.
Comme elle s’approchait pourtant, le corbeau lui tint ce propos :
— Belle Guiselda, ne sois pas étonnée d’entendre ma voix, tu sauras plus tard qui je suis. Tu seras un jour la femme d’un prince d’Orient. Je te vois reine, je te vois puissante, trônant dans un magnifique palais.
Et le noir corbeau s’envola en croassant et avec un bruissement d’ailes qui glaça d’effroi la jeune fille confondue…
Quelque temps après, on annonçait l’arrivée des Arabes. Devant ces dévastateurs fuyaient les bergers et leurs troupeaux. Guiselda prit aussi la fuite avec ses parents, mais ne put résister aux fatigues de la marche ; exténuée, à bout de forces, elle s’affaissa devant une grotte et se recommanda à la Vierge, tout à coup se fit entendre le bruit du galop d’un cheval : c’était un beau cavalier qui arrivait bientôt des terribles guerriers Maures.
Le chef de la troupe mit pied à terre en apercevant Guiselda, lui offrit à boire et la ranima. Mais, vaincu par ses charmes, il l’emporta sur sa croupe en l’entourant de mille prévenances qu’un amoureux prodigue à sa belle.
Et la prédiction du corbeau se réalisa : aimée du chef Maure, Guiselda fut conduite à Jaffa et devint la reine du harem. Elle eut pourtant à subir de dures épreuves et elle aurait bien donné sa royauté et ses bijoux pour revoir le Vallespir et sa chèvre Zilda.
La Vierge du Coral eut pourtant pitié d’elle et lui donna les moyens d’échapper au Sultan et de revenir dans le beau Roussillon.
Les vieux parents de la bergère disparue ne reconnurent plus Guiselda tant la douleur avait fait des ravages sur sa figure jadis si douce. Ce n’était plus, hélas, la belle paysanne que les bergers admiraient !
Elle revit pourtant avec un bonheur ineffable ses vieux parents, sa chèvre Zilda, les montagnes et les fleurs. Elle semblait peu à peu renaître à la vie lorsqu’elle entendit un jour une voix qui la fit tressaillir.
— Guiselda ! Guiselda !
La pâle Guiselda aperçut alors le maudit corbeau qui lui avait fait jadis une si funeste prédiction. Elle poussa un cri de terreur et tomba à genoux pour implorer la Vierge du Coral. À cette évocation, le corbeau disparut bruyamment, tandis que Guiselda rendait le dernier soupir. Et on vit, parait-il, des anges emporter l’âme de la malheureuse fille…

Horace CHAUVET (1899)

La Croix de la Fontaine

Dans la paroisse de Badaroux (48) existe une dévotion particulière pour la croix plantée à côté de la fontaine dite del Riou. C'est là que dans les temps de sécheresse, on fait, depuis longtemps, une procession pour obtenir du ciel une pluie bienfaisante. La tradition porte que très souvent, on a été exaucé avant même de rentrer dans l'église paroissiale.
L'origine de cette dévotion se perd dans la nuit des temps. Toutefois, la légende a voulu l'embellir de sa poésie imagée. Trois femmes, après avoir marché bien longtemps, arrivèrent en cet endroit, épuisées de lassitude et de soif. Elles allaient périr… Dieu entend leur fervente prière et aussitôt trois sources d'une eau limpide jaillissent de la roche... Ces trois voyageuses furent sauvées.

Ferdinand ANDRÉ (1873)

Le renard & le loup

Une fois, le renard et le loup allaient de compagnie près d'Alès (30). Le renard dit au loup :
— Il y a, tout près d’ici, une ferme, où à cette heure, une fermière fait une grosse omelette pour les moissonneurs ; j’irai poursuivre les poules qui crieront et feront descendra la fermière ; tu entreras aussitôt dans la cuisine, tu prendras l’omelette dans ta gueule, tu attacheras la poêle à ta queue et nous ferons cuire dans la poêle les poules que j’attraperai.
Compère loup fait ce que lui avait dit le renard. En descendant les escaliers, la poêle faisait beaucoup de bruit, le valet de ferme, qui labourait, poursuit le loup et, à coups d’aiguillon, il le fait laisser l’omelette et la poêle.
Le loup va au renard et lui dit :
— Tu m’as fait battre, il faut que je te mange.
— Non pas ! dit le renard, j’ai pris trois poules : nous allons les manger.
Et quand ils eurent plumé les poules, maître renard dit :
— Va chercher une cognée pour couper une souche d’arbre, et nous les ferons cuire.
Et coupant le bois, comme il n’avait pas de coin pour tenir une fente ouverte, le renard dit au loup :
— Mets là ta patte, cela fera un coin.
Le loup le fait, le renard retire la cognée et voilà notre imbécile de loup pris au traquenard. Son roué compère se met à courir et à rire aux éclats en l’entendant hurler.
Enfin, le loup se débarrasse comme il peut, en laissant un bon morceau de sa patte dans la fente. Il court de nouveau vers le renard et lui crie :
— Cette fois, tu y passeras !
— Tais-toi, nigaud, car brebis qui bêle perd sa bouchée ! Je vois, là-bas, un joli coup à faire : viens vite et fais comme tu verras faire.
À ce moment passait un homme qui revenait de pêcher dans la rivière voisine ; son âne portait deux mannes pleines de poissons. Le renard se couche sur le chemin et fait le mort ; l’ânier le voit et dit :
— Tiens ! un renard mort, il faut l’emporter, je vendrai sa peau.
Et il met le renard sur son âne ; notre mort se met à table avec les poissons de la corbeille, et puis, se sauve en emportant une bonne brassée.
À son tour, le loup se couche dans le chemin et fait le mort, mais l’ânier lui tombe dessus et lui donne une telle volée de coups de bâton, le malheureux, que son échine lui fait mal encore.
Voilà de nouveau le loup sur le renard :
— Ah ! monstre ! Il n’y a plus de pardon, je te mange !
— Pas plus ! dit le renard, pourquoi allions-nous prendre les poissons de l’ânier ? Est-ce qu’il en manque dans la rivière ?… Nous allons en pécher ensemble ; nous trouverons bien une corbeille quelque part ; je l’attacherai à ton échine ; moi, je pêcherai les poissons et les mettrai dans la corbeille.
Ils firent ainsi, mais le renard, au lieu de jeter les poissons dans la corbeille, les mangeait et mettait un caillou à la place.
— Nous faisons bonne pèche, n’est-il pas vrai ? disait-il au loup.
— Sûrement, répondait celui-ci, car plus ça va, plus ça pèse.
Il vint un moment où il y eut tant de cailloux que le pauvre encorbeillé ne peut plus remuer et se noya.

Louis LAMBERT (1899)

Dame Carcas

Les Sarrasins d’Espagne furent délogés de Carcassonne (11) par la valeur de Pépin le Bref ; telle était encore alors la force de cette place que la légende, substituant Charlemagne à son père, raconta bientôt qu’un seul guerrier avait suffi pour la défendre pendant cinq ans et que ce guerrier était une femme, "dame Carcas", dont le buste surmonte encore la porte principale de l’enceinte.

Anthyme SAINT-PAUL (1880)

La grisette de Collioure

Les sorcières de Collioure (66) étaient, – chose étrange – trois jeunes filles fort jolies. L’une d’elles, surnommé la Grisette, devait épouser un beau garçon dont elle était aimée. Mais une vieille femme indiscrète le futur des agissements diaboliques de la belle, lui conseillant de la surveiller.
L’amoureux réussit à se cacher dans la chambre de sa fiancée, et, sans être vu, put attendre les évènements.
Vers minuit, la jeune fille ouvrit sa fenêtre, agitant un mouchoir blanc, et bientôt arrivèrent deux femmes mariées bien mignonnes aussi.
— C’est demain la fête de Collioure, dit l’une d’elles, allons à l’île de Saint-Vincent et nous cueillerons des fleurs pour nous parer.
La proposition ayant convenu, la Grisette prit dans son armoire un pot plein de pommade dans lequel chacune trempa légèrement le pouce. Au signal : Pet sus fulla, mèna nos à la barca, les sorcières disparurent après avoir fait neuf fois le signe de la croix.
Le pêcheur n’eut qu’à imiter sa fiancée, à tremper le pouce dans la pommade, à prononcer les paroles sacramentelles pour être transporté lui aussi sur la plage de Collioure où les bruixas se trouvaient déjà.
Et comme ces dernières se dirigeaient vers une barque, il les y précéda et se coucha sous la proue.
Les sorcières s’installèrent et la padessa s’écria :
— Vara per un, vara per dos, vara per très !
Mais comme la barque ne bougeait pas, elle demanda à ses camarades si aucune d’elles n’était en état de grossesse, puis elle répéta la formule en la complétant :
 Vara per un, vara per dos, vara per très, vara per cuatre !
Et l’embarcation se dirigea vers l’île de Saint-Vincent, tandis que les sorcières étonnées se demandaient quel était le quatrième personnage qui avait provoqué le départ. Mais le pêcheur se tenait coi dans sa cachette.
Son attention fut bientôt attirée par une étrange conversation que tenait la Grisette sur son compte.
— La nuit de ma noce, disait-elle, je veux transformer mon mari en poisson et l’obliger à nager sur tout le littoral. Voilà qui sera drôle.
Et ses camarades de rire.
— Moi, dit l’une, j’ai changé mon mari en cheval et lui ai ordonné de parcourir les routes. Le lendemain, il en fut malade…
Mais, à ce moment, on arrivait sur les bords de l’île. Les sorcières ayant mis pied à terre, le pêcheur sortit aussi de sa cachette, et alla, comme elles, cueillir des fleurs rares, puis revint précipitamment sous la proue de la barque.
Le retour fut aussi rapide que l’aller et le jeune homme fut bien content de toucher la terre, après un voyage si instructif.
Le lendemain, il raconta l’aventure à ses camarades et leur distribua des fleurs de Saint-Vincent. Avec eux, il arriva au rendez-vous quotidien où l’attendait sa fiancée, mais la vue des fleurs troubla la jeune fille qui, pressée de questions et se voyant découverte, finit par tout avouer, confirmant les dires de son amoureux de la veille.
Le pêcheur, en effet, déclara renoncer à sa main, lui rendant impossible tout mariage dans la commune.

Horace CHAUVET (1899)

Le pont du diable

Quand Guillaume, duc de Toulouse, dit le Marquis-au-Court-Nez, qui allait souvent visiter son ami saint Benoît au couvent d’Aniane (34), voulut construire un pont sur l’Hérault, au lieu ordinaire de sa traversée, le diable renversait la nuit, ce qui avait été édifié à grand-peine pendant le jour. Guillaume finit par se lasser : il appela le diable et fit un pacte avec lui, aux conditions ordinaires : le premier passager lui appartiendrait. Le saint duc, plus rusé que Satan, fit connaître le marché à tous ses amis pour les en préserver ; puis il lâcha un chat qui le premier traversa le pont, et dont le démon fut bien forcé de se contenter. Depuis ce temps, dans le pays, les chats appartiennent au diable et les chiens à saint Guillem.

Paul SÉBILLOT (1894)

Le mari moqué

Le passé aimait plus la variété ; chaque cité avait ses habitudes et ses coutumes. À Mende (48), il y en avait de fort bizarres. Si un homme était connu pour sa faiblesse, si l’on savait que, chez lui, c’était la femme qui exerçait l’autorité, les voisins s’assemblaient, saisissaient le couple et organisaient à ses dépens une cérémonie grotesque ; on étendait de la paille devant sa maison : puis le mari, portant un sac sur le dos, devait tourner plusieurs fois comme un cheval de cirque, tandis que sa femme le suivait en frappant son sac à coups de bâton et criant : « Travaille ! » Tous les habitants du quartier formaient le cercle et criblaient les deux patients d’épigrammes.
Cette humiliation infligée aux Chrysales s’explique par le dédain que les Mendois éprouvent pour les femmes. Aujourd’hui encore, ce sentiment est resté vivace dans le Gévaudan tout entier. Un paysan dit toujours « J’ai trois enfants et deux filles ». Un autre, en apprenant la naissance d’une fille, disait au père « Vous ne pouviez avoir moins, c’est encore à recommencer ».

Jules BARBOT (1899)

Le lièvre du Pont-du-Gard

Une belle et gracieuse jeune fille, dont le père est un grand personnage de la ville de Nîmes (30), est aimée d’un beau et riche jeune homme. La belle soumet son amoureux à plus d’une épreuve avant de consentir à l’épouser. La dernière consiste à conduire à Nîmes, pour les réunir à celles de la fontaine, les eaux de la source d’Eure, près d’Uzès : "Fais ce prodige, lui dit-elle, et je jure de le donner ma main."
Le cœur gonflé de joie et d’espérance, le jeune homme se met à l’œuvre ; il rassemble tous les ouvriers d’alentour, et en rien de temps un immense canal serpente à travers les monts et les vallées, d’Uzès à Nîmes. Mais il reste encore à faire le plus difficile de cette œuvre gigantesque : il manque le pont qui doit porter le canal d’une montagne à l’autre par-dessus le Gardon. Les ouvriers redoublent d’ardeur. À grands coups de pioches et de marteaux, ils arrachent au flanc des collines d’énormes quartiers de roche et les roulent dans la rivière ; mais à peine les piles émergent-elles de l’eau qu’une crue survient à l’improviste et emporte tout. Vingt fois engloutie dans les remous écumants, vingt fois reprise, l’œuvre s’élevait enfin, majestueuse et forte, défiant la rage de la rivière, lorsqu’un épouvantable ouragan s’engouffre dans la vallée et dis­perse au loin, comme des feuilles légères, les grandes pierres amon­celées.
Alors, le découragement se mit au cœur des ouvriers, et, pour la première fois, l’amoureux de la belle Nîmoise se prit à douter du succès de son entreprise. Mais un étranger qui passait par là, leur dit : "Eh ! bonnes gens, pourquoi vous donner tant de peine ? Si vous voulez, je vais vous construire votre pont ; mais à une condition, c’est que le premier individu qui y passera m’appartiendra." Les ouvriers reconnurent par là qu’ils avaient affaire au diable ; mais, se disaient-ils entre eux, c’est au demeurant un diable fort honnête, puisqu’il ne nous demande qu’un seul indi­vidu, alors qu’il lui serait si facile d’en prendre plusieurs sans consulter personne. Et le marché fut conclu. Le pont s’éleva par enchantement et étala bientôt ses trois rangées d’arcades inébran­lables jetées comme un immense filet de pierre à travers la vallée.
Mais personne, cela va sans dire, ne voulait passer le
premier. "Laissez-moi faire, dit l’amoureux de la belle Nîmoise, et vous allez voir comment on trompe le diable." Puis, il prit un chat et s’en fut le lâcher à l’une des extrémités du nouvel édifice. La pauvre bête effrayée traversa le pont en courant et tomba entre les griffes du diable, qui, blotti à l’autre extrémité, attendait sa proie avec impatience. Qui fut bien attrapé ? Le diable qui ne trouva qu’un chat pour tout salaire, au lieu d’un homme sur lequel il comptait.
Enfin, le pont était construit, le canal aussi, et l’amoureux de la belle Nîmoise se disait tout bas, en retournant à Nîmes, que dans quelques instants, il ne manquerait plus rien à son bonheur. Mais, hélas ! il ne fut pas récompensé de tant d’efforts surhumains, de tant de constance et d’amour, et dès que les eaux de la fontaine d’Eure commencèrent à couler sur un des coteaux de Nîmes, la belle Nîmoise s’enferma dans un couvent.

A. ARTOZOUL (1883)

Le lac de Puivert

Une reine Blanche habitait le château de Puivert (11) qui était alors entouré d’une vaste nappe d’eau. Quelquefois, les eaux grossies par les orages envahissaient un trône de marbre situé au bout d’une jetée, sur lequel la reine se plaisait à rêver.
Elle fit percer à une certaine profondeur l’immense roche qui retenait le lac captif, pensant que le trop-plein s’écoulerait par cette ouverture et laisserait le lac au même niveau. Mais le rocher céda à l’énorme pression des eaux qui s’engouffrèrent dans la gorge de la vallée et engloutirent les seigneurs et la reine elle-même.
Cette catastrophe a eu lieu en effet ; elle fut due à un seigneur de Puivert qui voulant dessécher le lac, manqua de prudence dans ses travaux.

Gaston JOURDANNE (1838)